Sémiotique littéraire

Éléments de sémiotique
1. RÉSUMÉ
La sémiotique est la discipline qui étudie les signes. Un signe (par exemple, le mot « vaisseau ») se reconnaît à la présence de ses parties constitutives, soit, du moins dans les sémiotiques qui s'inspirent de Saussure, le signifiant (le contenant, la forme sensible du signe : les lettres v-a-i-s-s-e-a-u) et le signifié (sens, contenu, notion véhiculée par le signifiant : ‘navire de grande dimension'). La sémiotique générale permet, à l'aide des mêmes notions, de décrire, en principe, tout système de signes : textes, images, productions multimédia, signaux routiers, mode, spectacles, vie quotidienne, etc. Des sémiotiques spécifiques (du texte, de l'image, du multimédia, etc.) permettent de tenir compte des particularités de chaque système de signes. Ce chapitre présente sommairement la sémiotique générale. On y trouve, d'abord, des définitions de la discipline et du signe ainsi qu'une énumération de concepts et de théoriciens célèbres. Puis sont présentées, à travers l'analyse d'un objet en apparence anodin, les feux de circulations, des notions de sémiotique générale:
Émetteur/récepteur, émission/transmission/réception, canal, contexte, référent, système, code, redondance, bruit, paradigme/syntagme, marge de sécurité, sème, isotopie, polysémie/homonymie/synonymie, relations ou systèmes symboliques/semi-symboliques/sémiotiques, arbitraire/convention du signe, signes continus/discontinus, signes uniques/répétés, signes successifs/simultanés, signes actualisés/virtualisés, contraste, etc.

2. THÉORIE
2.1 DÉFINITION DE LA SÉMIOTIQUE ET DU SIGNE
La sémiotique (ou sémiologie) est, pour faire bref, la discipline qui étudie les signes et/ou la signification (processus de la production du sens). Ajoutons qu'elle connaît depuis quelques années un nouvel essor en raison, entre autres, du développement du multimédia.
La sémiotique n'est pas LA sémiotique. Il existe en effet plusieurs théories sémiotiques. La sémiotique est associée à des noms célèbres: Saussure, Peirce, Morris, Hjelmslev, Jakobson, Barthes, Greimas, et Eco (oui, le célèbre auteur du roman Le nom de la rose, dont a été tiré le film du même nom)... Et à des concepts fameux: signifiant, signifié, référent, paradigme, fonction poétique, isotopie, modèle actantiel, triangle sémiotique, carré sémiotique, oeuvre ouverte... Nous verrons ici, et ailleurs, quelques-uns de ces noms et concepts, et d'autres également. Comme complément, on lira les excellentes introductions à la sémiotique qui existent (par exemple, Eco 1988, Everaert-Desmedt 1990, Courtés 1991, Klinkenberg 2000).
Le signe se reconnaît de plusieurs manières. Il existe des définitions fonctionnelles. Ainsi, la définition la plus générale, et l'une des plus anciennes, fait du signe ce qui est mis à la place de quelque chose d'autre (ce quelque chose d'autre peut être interprété comme un signifié ou un référent, comme nous le verrons plus loin). Par exemple, le noir porté dans un enterrement ne vaut pas que pour lui-même en tant que couleur, il signifie aussi, du moins dans notre culture, la mort. Il existe aussi des définitions qui reposent sur la présence des éléments constitutifs du signe, lesquels varient d'une théorie à l'autre.
Dans les théories sémiotiques inspirées de Saussure (célèbre linguiste genevois), le signe se décompose en signifiant, la partie perceptible du signe (par exemple, les lettres v-a-i-s-s-e-a-u) et signifié, la partie intelligible du signe, le contenu sémantique associé au signifiant (par exemple, le sens du mot « vaisseau »). Le signifié se décompose en sèmes (par exemple, le signifié ‘vaisseau' contient des sèmes comme /navigation/, /concret/, etc.). Une isotopie est constituée par la répétition d'un même sème. Par exemple, dans « Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif / Ses mâts touchaient l'azur sur des mers inconnues » (Émile Nelligan, « Le vaisseau d'or »), les mots « Vaisseau », « mâts » et « mers » contiennent, entre autres, le sème /navigation/ et forment donc l'isotopie /navigation/.
Les signes conventionnels indiqués dans le tableau plus bas permettent de distinguer, par exemple, le signe (le mot) (1) «concret» ; du signifié qu'il véhicule, (2) 'concret' ; du signifiant de ce signe, (3) concret, constitué des phonèmes c-on-c-r-et et des lettres c-o-n-c-r-e-t ; du sème /concret/ (dans 'couteau', par exemple) ou de l'isotopie /concret/ (dans «couteau d'acier», par exemple). Par ailleurs, l'emploi d'une seule barre oblique indique une opposition (par exemple, vie/mort). Il existe en sémiotique plusieurs conventions différentes de celle employée ici.

Signes conventionnels employés
«signe» (guillemets)
signifiant (italiques)
'signifié' (apostrophes)
/sème/ et /isotopie/ (barres obliques)

Dans la tradition aristotélicienne, le signe est plutôt constitué de trois parties : le signifiant, le signifié et le référent, c'est-à-dire la chose concrète à laquelle renvoie le signe (par exemple, un vrai cheval). En appelant « signifiant » et « signifié » les deux premières parties du signe triadique, nous utilisons la terminologie de Saussure ; d'autres dénominations ont été proposées, qui correspondent parfois à des visions théoriques très différentes. Par exemple, Peirce (célèbre logicien américain), tout en s'inscrivant dans cette seconde tradition sémiotique propose une vision originale (que nous ne pouvons présenter ici; voir le chapitre sur la sémiotique de Pierce). Il distingue comme parties du signe, respectivement, le représentamen, l'interprétant et l'objet.

2.2 NOTIONS DE SÉMIOTIQUE : LES FEUX DE CIRCULATION
Comme toutes les disciplines, la sémiotique montre et décrit la complexité de phénomènes complexes ou en apparence simples. Les feux de circulation constituent un exemple de système sémiotique simple mais déjà plus complexe qu'il n'y paraît. Nous évoquerons ici des feux de circulation standard sans tenir toujours compte des multiples variétés qui en existent.

2.2.1 SIGNIFIANTS
Les trois signifiants principaux des feux de circulation sont des couleurs : vert, jaune, rouge. Ces signifiants utilisent donc uniquement l'un des cinq canaux sensoriels, l'un des cinq sens : la vue (ce qui n'est pas le cas, par exemple, des signes olfactifs).
Dans un même système de signes, les signifiants doivent respecter le principe d'une marge de sécurité suffisante, et nous ne parlons pas ici d'abord de sécurité routière… Par exemple, en principe, des feux de circulation pourraient employer les trois couleurs suivantes : vert foncé, vert moyen et vert pâle. On comprend que la minceur de la marge de sécurité entre ces signifiants diminuerait également la sécurité routière…

2.2.2 REDONDANCE ET BRUIT
Dans les feux de circulations, les couleurs sont souvent associées, corrélées à d'autres types de signifiants visuels (associés aux mêmes signifiés que les couleurs), à savoir des formes (par exemple, rectangle + rouge, cercle + vert, etc.) des positions (haut, milieu, bas ou gauche, milieu, droite). Cette corrélation produit une redondance, soit le phénomène de répétition d'un même signifié par son association avec plusieurs signifiants différents présents ou par la répétition du signe dans lequel ce signifié se trouve. La redondance vise à contrer ce qu'on appelle, en théorie de l'information, le bruit, c'est-à-dire ce qui empêche ou pourrait empêcher la transmission et l'interprétation (ou réception) correcte du message produit lors de l'émission. La redondance vise à s'assurer que le récepteur (le conducteur ou le piéton) perçoit bien le signe, notamment lorsque les circonstances sont défavorables (éblouissement, daltonisme, distraction, etc.). Ainsi, pourquoi le téléphone sonne-t-il à plusieurs reprises alors qu'une seule fois eût suffit ? Pour s'assurer qu'au moins un des signes répétés soit perçu.

2.2.3 SIGNIFIÉS
À chaque couleur des feux est associée un seul signifié, distinct de celui des autres couleurs : ‘traversez' pour vert, ‘préparez-vous à arrêter' pour jaune, ‘arrêtez-vous' pour rouge.

2.2.4 POLYSÉMIE ET SYNONYMIE
Lorsque deux signifiés et plus sont associés à un même signifiant, on parle de polysémie.

REMARQUE : POLYSÉMIE ET HOMONYMIE
Le mot « polysémie » reçoit un sens particulier en linguistique, où il indique une forme moins accentuée de différence entre signifiés que dans l'homonymie. Ainsi, le signifiant b-o-u-c-h-e peut être associé à deux signifiés en relation de polysémie, ‘bouche de métro' et ‘orifice buccal'. À l'opposé, le signifiant f-a-u-x peut être associé à deux signifiés en relation d'homonymie : ‘instrument agricole' et ‘erroné'.
Lorsqu'un même signifié est associé à deux signifiants ou plus, on parle, dans le cas des signes linguistiques du moins, de synonymie: par exemple, pour ce qui est de « mourir » et « décéder ». Dans le système sémiotique qui nous intéresse, on trouve des « synonymes » : ainsi le signe fait de rouge + ‘arrêtez' a-t-il pour équivalents, même s'ils sont moins importants, haut + ‘arrêtez' (dans une disposition verticale, le feu rouge est généralement situé au sommet) et rectangle + ‘arrêtez'.

REMARQUE : IMPOSSIBILITÉ DE LA SYNONYMIE PARFAITE
La synonymie parfaite n'existerait pas, du moins dans les systèmes linguistiques, comme le prouvent la disparité dans les emplois des signes synonymiques : ainsi « décéder » se distingue de « mourir » par son appartenance à un registre de langue plus élevé et son application aux seuls êtres humains, sauf emplois rhétoriques particuliers (on ne parle pas normalement d'« un chien décédé »). Le principe de solidarité entre signifiant et signifié explique l'absence de véritables synonymes. Selon ce principe, dès qu'on change de signifiant, on change de signifié et vice-versa. Par exemple, si on change le phonème b de « bas » pour un p, non seulement on change le signifiant mais également le signifié qui l'accompagne (un bas n'est pas un pas…).

2.2.5 SYSTÈMES SYMBOLIQUE, SEMI-SYMBOLIQUE ET SÉMIOTIQUE
Un système de signes ou une relation entre éléments quelconques sera soit (1) symbolique, soit (2) semi symbolique, soit (3) sémiotique (le mot « sémiotique » prend alors un sens restreint et particulier). (1) Lorsqu'un et un seul signifiant est associé à un et un seul signifié, on parle de système symbolique ; c'est le cas des feux de circulation, du « langage » des fleurs (rose = ‘amour', tulipe = ‘amitié', etc.), etc. (2) Un système est semi-symbolique si à une opposition du signifiant correspond (est homologuée) une opposition du signifié. Les gestes sont souvent de nature semi symbolique, il en va ainsi de l'opposition mouvement vertical/mouvement horizontal qui est homologuée à l'opposition ‘oui'/'non'. Les feux de circulation correspondent à partiellement à cette définition : en effet, si rouge et vert sont opposés en tant que couleurs complémentaires, jaune ne trouve pas de véritable opposé dans ce système. Il n'empêche que chacune des trois couleurs peut participer par ailleurs d'autres oppositions culturellement définies (au sein d'une même culture ou d'une culture à une autre); par exemple le rouge et le noir sont opposés dans plusieurs cultures, notamment africaines. (3) Enfin, les autres systèmes sont dits sémiotiques. La langue est un de ces systèmes.

2.2.6 ARBITRAIRE ET CONVENTION DU SIGNE
La corrélation entre une couleur et son signifié est arbitraire (non motivée). Tout signifiant peut en principe être joint à tout signifier. Pour être correctement interprété, le signe s'appuie cependant sur une convention (en ce sens, mais en ce sens seulement, il est motivé). La preuve en est, pour les feux de circulation, que d'autres cultures ou sociétés (le Japon, l'Australie) corrèlent jaune et ‘arrêtez'… Évidemment, nos feux de circulation à nous (il faudrait vérifier pour ceux des autres) reçoivent une certaine motivation puisqu'une corrélation (plus exactement une homologation) générale existe dans notre culture entre rouge/vert et ‘néfaste'/'bénéfique'. Il n'empêche que cette corrélation générale est elle-même arbitraire, même si elle peut recevoir une justification rationnelle (par exemple, le rouge évoquerait le sang versé, le vert la croissance végétale ; mais on trouve aussi des associations qui vont dans le sens inverse, comme le teint vert et la maladie). Même si elles sont en principe arbitraires, des contraintes, différentes pour chaque type de signifiants et type de situations, pèsent sur les associations entre signifiants et signifiés. Ainsi, on voit mal des feux de circulation employant un signifiant noir…
Soit trois des sortes de signes distingués par Peirce : icône (une photographie, un panneau de traverse d'écoliers où figure un silhouette humaine), indice (signes de type si… alors… : la fumée pour le feu, la queue d'un chat caché pour le chat entier), symbole (le mot « papa »). Le signe le plus arbitraire est évidemment le symbole, qui repose sur un lien de codification fort : il n'y a pas de lien de similarité (icône) ou de contiguïté, de proximité (indice) entre « papa » et ce qu'il désigne; à preuve, en anglais, le mot pour désigner le même référent est « father ». Un même signe peut être utilisé de plusieurs manières, par exemple comme symbole de quelque chose et indice d'autre chose. Ainsi, les feux de circulation sont avant tout des symboles, mais ils peuvent servir, par exemple, comme indice d'une intersection invisible au loin).

2.2.7 SIGNES UNIQUES/RÉPÉTÉS ET SILENCE SÉMIOTIQUE
Dans le monde des signes, un signe (1) durera plus ou moins longtemps; (2) il sera suivi ou non d'un moment de silence plus ou moins long; et, dans le cas ou le signe n'est pas solitaire (signe unique), il (3) cédera sa place à un autre signe ou encore sera répété (signe répété).
Ainsi, les feux de circulations emploient les signes uniques et les signes répétés (feux clignotants). Dans le « langue » des feux de circulation, il n'y a pas de place pour un silence dangereux  (par exemple, dans la succession « feu vert » - aucune lumière -  « feu jaune »       - aucune lumière- « feu rouge »). Contrairement à ce qui se produit dans d'autres systèmes sémiotiques, l'absence de tout signe n'y est pas un signe ; pour des raisons de sécurité, il n'existe pas, semble-t-il, de feux de circulation avec une seule couleur (par exemple, l'absence de rouge signifierait ‘roulez', sans nécessité la présence d'un feu vert). Pour les mêmes raisons, on a cru bon d'insérer entre les deux signes opposés, « feu rouge » et « feu vert », un signe intermédiaire, « feu jaune ». Il est intermédiaire dans deux sens du mot : dans le temps (il est au milieu de la séquence, nous y reviendrons) et, bien sûr, dans la signification (il est ce qu'on appelle en sémiotique un terme neutre, c'est-à-dire un signe qui marque l'absence des deux termes opposés; il signifie : ‘ni l'un ni l'autre').

2.2.8 SIGNES SUCCESSIFS/SIMULTANÉS, PARADIGME ET SYNTAGME
Tout langage est fait de signes et de règles, plus ou moins contraignantes, touchant les combinaisons de ces signes. Certaines de ces contraintes sont temporelles. Deux événements, par exemple deux signes, seront en (1) concomitance (ils sont simultanés et apparaissent et disparaissent en même temps) ; (2) en succession immédiate ou après un intervalle de temps ; (3) en concomitance partielle (l'un commençant plus tard que l'autre mais avant que ce dernier ne soit terminé).
Dans la « langue » des feux de circulation, comme dans la vraie langue, deux signes ne peuvent être émis en même temps. Dans la langue, du moins dans sa manifestation orale, des raisons phonologiques expliquent cette règle : on peut difficilement prononcer deux phonèmes à la fois. Dans les feux de circulations, ce sont des impératifs de sécurité et de cohérence qui l'excluent : tous les signes ne peuvent que se succéder, sans aucune concomitance et sans « silence ». On dira que les signes s'excluent mutuellement : un seul signe peut être actualisé (présent) à la fois, les deux autres doivent demeurer virtualisés (absents). Cela a pour conséquence que ce qu'on appelle un contraste, la coprésence de deux signes opposés (ici « feu rouge » et « feu vert »), y est impossible.
Un paradigme est un ensemble de signes équivalents virtualisés dans lequel on choisit un signe qui sera actualisé dans un syntagme. Un syntagme est un groupe de signes se succédant dans le temps (par exemple, une phrase est un groupe de mots et à cet égard, un syntagme ; il existe aussi des « syntagmes » sans succession temporelle, par exemple un tableau).
Les feux de circulation ont un seul paradigme, composé de seulement trois signes. Ils fonctionnent avec un syntagme obligatoirement à trois positions temporelles et spatiales. À chaque position dans le temps, un seul signe est actualisé. À chaque position dans l'espace (dans une orientation horizontale : gauche, milieu, droite), un seul signe, toujours le même, est actualisé ; pour des raisons de sécurité et de coût sans doute, on ne préconise pas l'usage d'une seule lampe diffusant plusieurs couleurs (mais il existe des feux de piétons où les signes « traversez » et « ne traversez pas » sont localisés exactement au même endroit). Parmi toutes les combinaisons possibles, une seule est autorisée : « feu vert » -  « feu jaune » -  « feu rouge », etc. Quant à leur durée, les signes ne sont pas égaux : normalement, le feu jaune dure moins longtemps que les deux autres ; la durée relative des feux rouge et vert est réglée en fonction de l'importance de l'axe routier en cause. Nous touchons là les misères et splendeurs de la programmation des feux de circulation sur une base individuelle et dans leur enchaînement (synchronisation). Et la sémiotique nous ramène, par des voies inattendues, à des questions cruellement quotidiennes…

3. APPLICATION : LA COULEUR DES DESSOUS FÉMININS
Comme dans la section précédente nous avons déjà illustré les notions sémiotiques présentées, nous nous contenterons ici d'une courte application coquine : étudier le système des couleurs des dessous féminins (plus complexe et structuré que celui des dessous masculins). Il s'agira de stipuler les sèmes (éléments composant un signifié) associés à ces couleurs, qui sont autant de signifiants. Opposons les couleurs de dessous dont les signifiés sont relativement précis (blanc, beige, rouge, etc.) et celles dont les signifiés demeurent flous (turquoise, émeraude, brun, etc.), et concentrons-nous sur les premières. Retenons les couleurs suivantes : blanc, beige, rouge, rose et noir.
Le tableau suivant présente les principaux sèmes que nous croyons pouvoir rattacher à chaque couleur retenue. Il va de soi que cette analyse est somme toute grossière et que de nombreux raffinements seraient susceptibles de la préciser (par exemple, un dessous blanc mais avec force dentelles n'est plus spontanément associé à l'ingénuité de la jeune fille). Le signe d'addition indique la présence du sème et le point d'interrogation un doute.

Sèmes associés aux couleurs des dessous féminins

SIGNIFIANT
blanc
beige
rouge
rose
noir
SÈME (bas)






/jeune fille/

+


+?

/femme/


+
+
+
+
/vie quotidienne/

+
+

+?

/activités sportives/

+




/occasion spéciale/



+
+
+
/passion/



+

+
/romantisme/

+


+

/démodé, kitsch/


+

+?

/chic, classique/



+
+?
+
/ingénuité/

+


+

/assurance sexuelle/



+

+
autres sèmes

/pureté/

/provocation/
/douceur/
/féminité/
/mystère/

4. OUVRAGES CITÉS
ECO, U. (1988), Le signe, Bruxelles, Labor.
EVERAERT-DESMEDT, N. (1990), Le processus interprétatif: introduction à la sémiotique de Ch. S. Peirce, Bruxelles, Pierre Mardaga Éditeur.
KLINKENBERG, J.-M. (2000), Précis de sémiotique générale, Paris, Sevil.


Réf :
Louis Hébert
Université du Québec à Rimouski

La narratologie

1. RÉSUMÉ
Pour bien cerner l’apport de la narratologie, il importe de saisir la distinction entre trois entités fondamentales : l’histoire, le récit et la narration. Globalement, l’histoire correspond à une suite d’événements et d’actions, racontée par quelqu’un, c’est-à-dire le narrateur, et dont la représentation finale engendre un récit. De fait, la narratologie est une discipline qui étudie les mécanismes internes d’un récit, lui-même constitué d’une histoire narrée.
L’étude du discours du récit vise à dégager les principes communs de composition des textes, principes qui tendent à l’universalité. On tente ainsi de voir les relations possibles entre les éléments de la triade récit/histoire/narration. Ces relations prennent forme, notamment, au sein de quatre catégories analytiques : le mode, l’instance narrative, le niveau et le temps.

2. THÉORIE
2.1 ORIGINE ET FONCTION
Les travaux de Gérard Genette (1972 et 1983) s’inscrivent dans la continuité des recherches allemandes et anglo-saxonnes, et se veulent à la fois un aboutissement et un renouvellement de ces critiques narratologiques. Rappelons que l’analyse interne, à l’instar de toute analyse sémiotique, présente deux caractéristiques. D’une part, elle s’intéresse aux récits en tant qu’objets linguistiques indépendants, détachés de leur contexte de production ou de réception. D’autre part, elle souhaite démontrer une structure de base, identifiable dans divers récits.

À l’aide d’une typologie rigoureuse, Genette établit une poétique narratologique, susceptible de recouvrir l’ensemble des procédés narratifs utilisés. Selon lui, tout texte laisse transparaître des traces de la narration, dont l’examen permettra d’établir de façon précise l’organisation du récit. L’approche préconisée se situe, évidemment, en deçà du seuil de l’interprétation et s’avère plutôt une assise solide, complémentaire des autres recherches en sciences humaines, telles que la sociologie, l’histoire littéraire, l’ethnologie et la psychanalyse.

REMARQUE : LA NARRATOLOGIE : ENTRE LE TEXTUALISME ET LA PRAGMATIQUE
Prenant la forme d'une typologie du récit, la narratologie élaborée par Gérard Genette se pose aux yeux de maints spécialistes de la question comme un appareil de lecture marquant une étape importante dans le développement de la théorie littéraire et de l'analyse du discours. En faisant de la voix narrative une notion autour de laquelle s'articulent toutes les autres catégories, l'auteur fait du contexte de production d'un récit une donnée fondamentale.

2.2 LE MODE NARRATIF
L’écriture d’un texte implique des choix techniques qui engendreront un résultat particulier quant à la représentation verbale de l’histoire. C’est ainsi que le récit met en œuvre, entre autres, des effets de distance afin de créer un mode narratif précis, qui gère la « régulation de l’information narrative » fournie au lecteur (1972 : 184). Selon le théoricien, tout récit est obligatoirement diégésis (raconter), dans la mesure où il ne peut atteindre qu’une illusion de mimésis (imiter) en rendant l’histoire réelle et vivante. De sorte, tout récit suppose un narrateur.

Pour Genette, donc, un récit ne peut véritablement imiter la réalité ; il se veut toujours un acte fictif de langage, aussi réaliste soit-il, provenant d’une instance narrative. « Le récit ne “ représente ” pas une histoire (réelle ou fictive), il la raconte, c’est-à-dire qu’il la signifie par le moyen du langage […]. Il n’y a pas de place pour l’imitation dans le récit […]. » (1983 : 29) Ainsi, entre les deux grands modes narratifs traditionnels que sont la diégésis et la mimésis, le narratologue préconise différents degrés de diégésis, faisant en sorte que le narrateur est plus ou moins impliqué dans son récit, et que ce dernier laisse peu ou beaucoup de place à l’acte narratif. Mais, insiste-t-il, en aucun cas ce narrateur est totalement absent.

2.2.1 LA DISTANCE
L’étude du mode narratif implique l’observation de la distance entre le narrateur et l’histoire. La distance permet de connaître le degré de précision du récit et l’exactitude des informations véhiculées. Que le texte soit récit d’événements (on raconte ce que fait le personnage) ou récit de paroles (on raconte ce que dit ou pense le personnage), il y a quatre types de discours qui révèlent progressivement la distance du narrateur vis-à-vis le texte (1972 : 191) :

1. Le discours narrativisé : Les paroles ou les actions du personnage sont intégrées à la narration et sont traitées comme tout autre événement (- distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a appris le décès de sa mère.

2. Le discours transposé, style indirect : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, qui les présente selon son interprétation (- + distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a dit que sa mère était décédée.

3. Le discours transposé, style indirect libre : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, mais sans l’utilisation d’une conjonction de subordination (+ - distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami : sa mère est décédée.

4. Le discours rapporté : Les paroles du personnage sont citées littéralement par le narrateur (+ distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami. Il lui a dit : « Ma mère est décédée. »

2.2.2 FONCTIONS DU NARRATEUR
À partir de la notion de distance narrative, Genette expose les fonctions du narrateur en tant que telles (1972 : 261). En effet, il répertorie cinq fonctions qui exposent également le degré d’intervention du narrateur au sein de son récit, selon l’impersonnalité ou l’implication voulue.

1. La fonction narrative : La fonction narrative est une fonction de base. Dès qu’il y a un récit, le narrateur, présent ou non dans le texte, assume ce rôle (impersonnalité).

2. La fonction de régie : Le narrateur exerce une fonction de régie lorsqu’il commente l’organisation et l’articulation de son texte, en intervenant au sein de l’histoire (implication).

3. La fonction de communication : Le narrateur s’adresse directement au narrataire, c’est-à-dire au lecteur potentiel du texte, afin d’établir ou de maintenir le contact avec lui (implication).

4. La fonction testimoniale : Le narrateur atteste la vérité de son histoire, le degré de précision de sa narration, sa certitude vis-à-vis les événements, ses sources d’informations, etc. Cette fonction apparaît également lorsque le narrateur exprime ses émotions par rapport à l’histoire, la relation affective qu’il entretient avec elle (implication).

5. La fonction idéologique : Le narrateur interrompt son histoire pour apporter un propos didactique, un savoir général qui concerne son récit (implication).

Le mode narratif de la diégésis s’exprime donc à différents degrés, selon l’effacement ou la représentation perceptible du narrateur au sein de son récit. Ces effets de distance entre la narration et l’histoire, notamment, permettent au narrataire d’évaluer l’information narrative apportée, « comme la vision que j’ai d’un tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare. » (1972 : 184)

2.3 L’INSTANCE NARRATIVE
L’instance narrative se veut l’articulation entre la voix narrative (qui parle ?), le temps de la narration (quand raconte-t-on, par rapport à l’histoire ?) et la perspective narrative (par qui perçoit-on ?). Comme pour le mode narratif, l’étude de l’instance narrative permet de mieux comprendre les relations entre le narrateur et l’histoire à l’intérieur d’un récit donné.

2.3.1 LA VOIX NARRATIVE
Si le narrateur laisse paraître des traces relatives de sa présence dans le récit qu’il raconte, il peut également acquérir un statut particulier, selon la façon privilégiée pour rendre compte de l’histoire. «  On distinguera donc ici deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte, l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte. Je nomme le premier type, pour des raisons évidentes, hétérodiégétique, et le second homodiégétique.» (1972 : 252)

En outre, si ce narrateur homodiégétique agit comme le héros de l’histoire, il sera appelé autodiégétique.

2.3.2 LE TEMPS DE LA NARRATION
Le narrateur est toujours dans une position temporelle particulière par rapport à l’histoire qu’il raconte. Genette présente quatre types de narration :

1. La narration ultérieure : Il s’agit de la position temporelle la plus fréquente. Le narrateur raconte ce qui est arrivé dans un passé plus ou moins éloigné.

2. La narration antérieure : Le narrateur raconte ce qui va arriver dans un futur plus ou moins éloigné. Ces narrations prennent souvent la forme de rêves ou de prophéties.

3. La narration simultanée : Le narrateur raconte son histoire au moment même où elle se produit.

4. La narration intercalée : Ce type complexe de narration allie la narration ultérieure et la narration simultanée. Par exemple, un narrateur raconte, après-coup, ce qu’il a vécu dans la journée, et en même temps, insère ses impressions du moment sur ces mêmes événements.

2.3.3 LA PERSPECTIVE NARRATIVE
Une distinction s’impose entre la voix et la perspective narratives, cette dernière étant le point de vue adopté par le narrateur, ce que Genette appelle la focalisation. « Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de “ champ ”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. » (1983 : 49) Il s’agit d’une question de perceptions : celui qui perçoit n’est pas nécessairement celui qui raconte, et inversement.

Le narratologue distingue trois types de focalisations :

1. La focalisation zéro : Le narrateur en sait plus que les personnages. Il peut connaître les pensées, les faits et les gestes de tous les protagonistes. C’est le traditionnel « narrateur-Dieu ».

2. La focalisation interne : Le narrateur en sait autant que le personnage focalisateur. Ce dernier filtre les informations qui sont fournies au lecteur. Il ne peut pas rapporter les pensées des autres personnages.

3. La focalisation externe : Le narrateur en sait moins que les personnages. Il agit un peu comme l’œil d’une caméra, suivant les faits et gestes des protagonistes de l’extérieur, mais incapable de deviner leurs pensées.

L'approfondissement des caractéristiques propres à l’instance narrative, autant que celles du mode narratif, permet de clarifier les mécanismes de l’acte de narration et d’identifier précisément les choix méthodologiques effectués par l’auteur pour rendre compte de son histoire. L’utilisation de l’un ou l’autre de ces procédés narratologiques contribue à créer un effet différent chez le lecteur. Par exemple, la mise en scène d’un héros-narrateur (autodiégétique), utilisant une narration simultanée et une focalisation interne, et dont les propos seraient fréquemment présentés en discours rapportés, contribuerait sans aucun doute à produire une forte illusion de réalisme et de vraisemblance.

2.4 LES NIVEAUX
Ces divers effets de lecture sont le fait de la variation des niveaux narratifs, traditionnellement appelés les emboîtements. À l’intérieur d’une intrigue principale, l’auteur peut insérer d’autres petits récits enchâssés, racontés par d’autres narrateurs, avec d’autres perspectives narratives. Il s’agit d’une technique plutôt fréquente, permettant de diversifier l’acte de narration et d’augmenter la complexité du récit.

2.4.1 LES RÉCITS EMBOÎTÉS
La narration du récit principal (ou premier) se situe au niveau extradiégétique. L’histoire événementielle narrée à ce premier niveau se positionne à un second palier, appelé intradiégétique. De fait, si un personnage présent dans cette histoire prend la parole pour raconter à son tour un autre récit, l’acte de sa narration se situera également à ce niveau intradiégétique. En revanche, les événements mis en scène dans cette deuxième narration seront métadiégétiques.

Exemple (fictif) : Aujourd’hui, j’ai vu une enseignante s’approcher d’un groupe d’enfants qui s’amusaient. Après quelques minutes, elle a pris la parole : « Les enfants, écoutez bien, je vais vous raconter une incroyable histoire de courage qui est arrivée il y a plusieurs centaines d’années, celle de Marguerite Bourgeois… »

Le tableau qui suit présente les niveaux narratifs dans un récit.
Les niveaux narratifs dans un récit

OBJETS
NIVEAUX
CONTENUS NARRATIFS
 Intrigue principale
 Extradiégétique
 Narration homodiégétique (« je »)
Histoire événementielle
 Intradiégétique
Histoire de l’enseignante et des enfants
 Acte de narration secondaire
 Intradiégétique
 Prise de parole de l’enseignante
 Récit emboîté
 Métadiégétique
 Histoire de Marguerite Bourgeois

2.4.2 LA MÉTALEPSE
Il arrive également que les auteurs utilisent le procédé de la métalepse, qui consiste en la transgression de la frontière entre deux niveaux narratifs en principe étanches, pour brouiller délibérément la frontière entre réalité et fiction. Ainsi la métalepse est-elle une façon de jouer avec les variations de niveaux narratifs pour créer un effet de glissement ou de tromperie. Il s’agit d’un cas où un personnage ou un narrateur situé dans un niveau donné se retrouve mis en scène dans un niveau supérieur, alors que la vraisemblance annihile cette possibilité. « Tous ces jeux manifestent par l’intensité de leurs effets l’importance de la limite qu’ils [les auteurs] s’ingénient à franchir au mépris de la vraisemblance, et qui est précisément la narration (ou la représentation) elle-même ; frontière mouvante mais sacrée entre deux mondes : celui où l’on raconte, celui que l’on raconte. » (1972 : 245)

Pour reprendre l’exemple précédent, l’intervention du narrateur homodiégétique de l’intrigue principale dans l’histoire métadiégétique de Marguerite Bourgeois serait un cas de métalepse. Marguerite Bourgeois est une héroïne du 17ème siècle, qui a fondé la Congrégation Notre-Dame, à Montréal, pour l’instruction des jeunes filles. Il est ainsi impossible que le narrateur contemporain (« aujourd’hui ») se retrouve mis en scène dans cette histoire enchâssée, campée en Nouvelle-France.

2.5 LE TEMPS DU RÉCIT
On a vu que le temps de la narration concernait la relation entre la narration et l’histoire : quelle est la position temporelle du narrateur par rapport aux faits racontés ? Genette se penche également sur la question du temps du récit : comment l’histoire est-elle présentée en regard du récit en entier, c’est-à-dire du résultat final ? Une fois de plus, plusieurs choix méthodologiques se posent aux écrivains, qui peuvent varier l’ordre du récit, la vitesse narrative et la fréquence événementielle afin d’arriver au produit escompté. L’emploi calculé de ces techniques permet au narrataire d’identifier les éléments narratifs jugés prioritaires par les auteurs, ainsi que d’observer la structure du texte et son organisation.

2.5.1 L’ORDRE
L’ordre est le rapport entre la succession des événements dans l’histoire et leur disposition dans le récit. Un narrateur peut choisir de présenter les faits dans l’ordre où ils se sont déroulés, selon leur chronologie réelle, ou bien il peut les raconter dans le désordre. Par exemple, le roman policier s’ouvre fréquemment sur un meurtre qu’il faut élucider. On présentera par la suite les événements antérieurs au crime, les faits survenus qui permettent de trouver l’assassin. Ici, l’ordre réel des événements ne correspond pas à leur représentation dans le récit. Le brouillage de l’ordre temporel contribue à produire une intrigue davantage captivante et complexe.

Genette désigne ce désordre chronologique par anachronie. Il existe deux types d’anachronie :

1. L’analepse : Le narrateur raconte après-coup un événement survenu avant le moment présent de l’histoire principale.

Exemple (fictif) : Je me suis levée de bonne humeur ce matin. J’avais en tête des souvenirs de mon enfance, alors que maman chantait tous les matins de sa voix rayonnante.

2. La prolepse : Le narrateur anticipe des événements qui se produiront après la fin de l’histoire principale.

Exemple (fictif) : Que va-t-il m’arriver après cette aventure en Europe ? Jamais plus je ne pourrai voir mes proches de la même façon : je deviendrai sans doute acariâtre et distant.

Par ailleurs, les analepses et les prolepses peuvent s’observer selon deux facteurs : la portée et l’amplitude. « Une anachronie peut se porter, dans le passé ou dans l’avenir, plus ou moins loin du moment “ présent ”, c’est-à-dire du moment où le récit s’est interrompu pour lui faire place : nous appellerons portée de l’anachronie cette distance temporelle. Elle peut aussi couvrir elle-même une durée d’histoire plus ou moins longue : c’est ce que nous appellerons son amplitude. » (1972 : 89)

Les anachronies peuvent avoir plusieurs fonctions dans un récit. Si les analepses acquièrent souvent une valeur explicative, alors que la psychologie d’un personnage est développée à partir des événements de son passé, les prolepses peuvent quant à elles exciter la curiosité du lecteur en dévoilant partiellement les faits qui surviendront ultérieurement. Ces désordres chronologiques peuvent aussi simplement remplir un rôle contestataire, dans la mesure où l’auteur souhaite bouleverser la représentation linéaire du roman classique.

2.5.2 LA VITESSE NARRATIVE
D’autres effets de lecture peuvent être procurés par la variation de la vitesse narrative. Genette prend appui sur les représentations théâtrales, où la durée de l’histoire événementielle correspond idéalement à la durée de sa narration sur scène. Or, dans les écrits littéraires, le narrateur peut procéder à une accélération ou à un ralentissement de la narration en regard des événements racontés. Par exemple, on peut résumer en une seule phrase la vie entière d’un homme, ou on peut raconter en mille pages des faits survenus en vingt-quatre heures.

Le narratologue répertorie quatre mouvements narratifs (1972 : 129) (TR : temps du récit, TH : temps de l’histoire) :

1. La pause : TR = n, TH = 0 : L’histoire événementielle s’interrompt pour laisser la place au seul discours narratorial. Les descriptions statiques font partie de cette catégorie.

2. La scène : TR = TH : Le temps du récit correspond au temps de l’histoire. Le dialogue en est un bon exemple.

3. Le sommaire : TR < TH : Une partie de l’histoire événementielle est résumée dans le récit, ce qui procure un effet d’accélération. Les sommaires peuvent être de longueur variable.

4. L’ellipse : TR = 0 ; TH = n : Une partie de l’histoire événementielle est complètement gardée sous silence dans le récit.

Inutile de préciser que ces quatre types de vitesse narrative peuvent apparaître à des degrés variables. Aussi peuvent-ils se combiner entre eux : une scène dialoguée pourrait elle-même contenir un sommaire, par exemple. L’étude des variations de la vitesse au sein d’un récit permet de constater l’importance relative accordée aux différents événements de l’histoire. Effectivement, si un auteur s’attarde peu, beaucoup ou pas du tout sur un fait en particulier, il y a certainement lieu de s’interroger sur ces choix textuels.

2.5.3 LA FRÉQUENCE ÉVÉNEMENTIELLE
Une dernière notion est à examiner en ce qui concerne le temps du récit. Il s’agit de la fréquence narrative, c’est-à-dire la relation entre le nombre d’occurrences d’un événement dans l’histoire et le nombre de fois qu’il se trouve mentionné dans le récit. « Entre ces capacités de “ répétition ” des événements narrés (de l’histoire) et des énoncés narratifs (du récit) s’établit un système de relations que l’on peut a priori ramener à quatre types virtuels, par simple produit des deux possibilités offertes de part et d’autre : événement répété ou non, énoncé répété ou non. » (1972 : 146)

Ces quatre possibilités conduisent à donc à quatre types de relations de fréquence, qui se schématisent par la suite en trois catégories (1972 : 146) :

1. Le mode singulatif : 1R / 1H : On raconte une fois ce qui s’est passé une fois.
                                         nR / nH : On raconte n fois ce qui s’est passé n fois.
2. Le mode répétitif : nR / 1H : On raconte plus d’une fois ce qui s’est passé une fois.
3. Le mode itératif : 1R / nH : On raconte une fois ce qui s’est passé plusieurs fois.

Le tableau qui suit constitue une synthèse de la typologie narratologique de Genette.
Synthèse de la typologie narratologique de Genette
           
CATÉGORIES ANALYTIQUES
ÉLÉMENTS D’ANALYSE
COMPOSANTES
LE MODE NARRATIF
LA DISTANCE
Discours narrativisé
Discours transposé, style indirect
Discours transposé, style indirect libre
Discours rapporté
LES FONCTIONS DU NARRATEUR
Fonction narrative
Fonction de régie
Fonction de communi-cation
Fonction testimoniale
Fonction idéologique
L’INSTANCE NARRATIVE
LA VOIX NARRATIVE
Narrateur homodiégétique
Narrateur hétérodiégétique
Narrateur autodiégétique
LE TEMPS DE LA NARRATION
Narration ultérieure
Narration antérieure
Narration simultanée
Narration intercalée
LA PERSPECTIVE NARRATIVE
La focalisation zéro
La focalisation interne
La focalisation externe
LES NIVEAUX NARRATIFS
LES RÉCITS EMBOÎTÉS
Extra-diégétique
Intra-diégétique
Méta-diégétique
Méta-méta-diégétique, etc.
LA MÉTALEPSE
Transgression des niveaux narratifs
LE TEMPS DU RÉCIT
L’ORDRE
L’analepse
La prolepse
La portée
L’amplitude
LA VITESSE NARRATIVE
La pause
La scène
Le sommaire
L’ellipse
LA FRÉQUENCE ÉVÉNEMENTIELLE
Mode singulatif
Mode répétitif
Mode itératif

















3. APPLICATION
Voyons comment, dans un court récit telle la fable, l’étude des procédés narratifs permet de représenter l’organisation du texte et de voir les relations entre narration, histoire et récit. Tel que mentionné plus tôt, l’examen des procédés narratologiques correspond en quelque sorte à une étape de décryptage textuel, il est donc inséparable d’une approche subsidiaire menant à une interprétation.

* * *
« La Laitière et le Pot au lait »
Jean de La Fontaine, Les Fables, 1668

Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
5          Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l'argent,
10        Achetait un cent d'oeufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile,
D'élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
15        S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l'eus de grosseur raisonnable :
J'aurai le revendant de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
20        Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri
25        Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l'appela le Pot au lait.
30        Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
35        Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ;
40        On m'élit roi, mon peuple m'aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.
* * *
En reprenant l’ordre que nous avons suivi pour la présentation des différentes catégories analytiques de la narratologie, voici ce que l’on peut dire de cette fable :

3.1 LE MODE NARRATIF
La distance :
Trois degrés de distance narrative sont présentés dans la fable, de sorte que le narrateur apparaît tantôt comme étant très impliqué dans son récit, tantôt comme étant totalement absent. Cette variation permet de diversifier l’acte de narration. Voici des exemples :

Le discours narrativisé (narrateur - distant) :
Lignes 1 à 3 : le verbe « prétendait » suppose un discours du personnage intégré dans l’acte narratif.

Le discours transposé, style indirect libre (narrateur + - distant) :
Lignes 22 et 23 : le terme « adieu » laisse voir les paroles du personnage.

Le discours rapporté (narrateur + distant) :
Lignes 12 à 21 : l’incise « disait-elle » montre que le narrateur rapporte intégralement le discours du personnage.

Les fonctions du narrateur :
Outre la fonction narrative, inhérente à tout récit, cette fable rend manifestes trois fonctions importantes, soit la fonction de communication, la fonction testimoniale et la fonction idéologique. Toutes trois peuvent être perceptibles des lignes 28 à 43. Si, d’une part, le narrateur atteste de la véracité des événements en traitant cette histoire comme une farce connue (lignes 28 et 29), il termine son récit en interpellant directement le narrataire par des interrogations (lignes 30 à 34) et en effectuant des considérations moralisatrices (lignes 30 à 44).

Ces effets de distance et d’implication dévoilent et renforcent le mode narratif de diégésis, voulant que tout récit soit considéré comme un acte fictif de langage, plutôt que comme une imitation parfaite de la réalité (mimésis).

3.2 L’INSTANCE NARRATIVE
La voix narrative :
La fable est divisible en deux parties narratives. La première section (lignes 1 à 29) montre un narrateur hétérodiégétique ; il s’exprime à la troisième personne et est absent de l’histoire qu’il raconte. La deuxième section propose plutôt un narrateur autodiégétique. Le discours didactique des lignes 30 à 43 révèle un narrateur impliqué, s’exprimant à la première personne et se mettant en scène comme protagoniste dans son histoire. 
Le temps de la narration :
On pourrait affirmer que cette fable propose une narration intercalée. La première section narrative (lignes 1 à 29) présente une narration ultérieure, puisque le narrateur raconte les événements après qu’ils se sont déroulés (utilisation de temps verbaux du passé). Puis, la dernière section (lignes 30 à 43) laisse voir les impressions présentes du narrateur par rapport à cette histoire passée.
La perspective focalisatrice :
Le texte choisi donne un exemple de focalisation zéro. Le narrateur semble connaître les propos, pensées, faits et gestes de tous les personnages, dont Perrette. Comme le narrateur sait que le récit de la laitière « en farce en fut fait », il est possible de conclure à cette perspective omnisciente.

3.3 LES NIVEAUX
La fable ne présente qu’un seul niveau narratif. Il n’y a pas de récit emboîté : tout le texte se situe sur un même palier. Pour reprendre la terminologie étudiée, l’acte narratif se situe à un niveau extradiégétique, alors que l’histoire événementielle contenue dans le texte est au niveau intradiégétique.

3.4 LE TEMPS DU RÉCIT
L’ordre :
Pour repérer les anachronies, il faut d’abord déterminer le début et la fin de l’histoire principale. Dans le cas qui nous occupe, on pourrait affirmer que l’histoire événementielle débute lorsque Perrette entreprend son trajet, et qu’elle se termine par la moquerie populaire à l’endroit de la laitière, alors qu’elle revient de son excursion. Suivant ces informations, on pourrait distinguer deux anachronies :

(1) Une analepse : les lignes 5 et 6 relatent un événement survenu avant le départ de Perrette pour la marché. Il s’agit d’une analepse ayant une très courte portée, puisqu’elle est survenue presque immédiatement avant le début de l’histoire événementielle. Aussi cette analepse est-elle d’une amplitude indéterminée, mais que l’on suppose courte, puisque l’on ignore combien de temps a requis cette action (habillement).
(2) Une prolepse : les lignes 7 à 21 sont un bel exemple de prolepse. La laitière se plaît à imaginer les événements qui surviendront après son retour du marché, alors qu’elle aura de l’argent. La portée de la prolepse est indéterminée, car l’on ne sait pas combien de temps s’écoulera entre le retour du marché (la fin de l’histoire événementielle) et les actions anticipées (élever des poulets, un cochon, une vache et un veau, etc.). De même, l’amplitude est indéterminée, parce qu’il est impossible de savoir sur quelle période temporelle s’étalent ces prévisions.

La vitesse narrative :
La fable propose trois mouvements narratifs qui se présentent de façon complexe :
(1) D’abord, l’histoire de Perrette est un sommaire (lignes 1 à 29) : le narrateur résume en quelques lignes les événements (TR < TH). 
(2) À l’intérieur de ce sommaire apparaît une scène (lignes 12 à 21), alors que Perrette se parle à elle-même : le narrateur rapporte en temps réel les pensées de la laitière. Cependant, il faut comprendre que cette scène est elle-même constituée d’un sommaire, puisque la protagoniste résume les événements anticipés.
(3) Finalement, les lignes 30 à 43 agissent comme une pause au sein de l’histoire événementielle, dans la mesure où le narrateur interrompt l’histoire pour apporter un propos didactique. Toutefois, cette morale est également illustrée à l’aide d’exemples prenant la forme de sommaires.

La fréquence événementielle :
Une fois de plus, il importe de séparer les deux parties narratives du récit.
La première partie (lignes 1 à 29) propose un mode singulatif : le narrateur raconte une seule fois ce qui s’est passé une seule fois. Toutefois, la dernière partie (lignes 30 à 43) montre un exemple intéressant de mode itératif : le narrateur raconte une fois ce qui s’est possiblement produit plusieurs fois, en plusieurs circonstances et chez divers protagonistes.

4. OUVRAGES CITÉS
GENETTE, G. (1972), Figures III, Paris, Seuil.
GENETTE, G. (1983), Nouveau discours du récit, Paris, Seuil.
ANGELET, C. et J., HERMAN (1987), « Narratologie », dans M. Delcroix et F. Hallyn (dir.), Introduction aux études littéraires, Paris, Duculot. (Ouvrage consulté)
REUTER, Y. (1997), L’analyse du récit, Paris, Dunod. (Ouvrage consulté)


Réf :
Lucie Guillemette et Cynthia Lévesque (2006),
 « La narratologie », dans Louis Hébert (dir.),
 Signo, Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/.